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Imaginons une seule seconde le cours du monde, le cours de l’histoire, s’il n’y avait pas de secret. Pas de secret, pas de possibilité de mentir donc, pas de possibilité de dissimuler, mais aussi aucune possibilité de partage. Car ce qui nous unit le plus intimement à autrui – et à un autrui souvent fort bien désigné– est le secret. Si l’être peut se dire de diverses manières, comme l’indique Aristote à de nombreuses reprises, il convient de reconnaître que le secret le peut aussi. Alors, quelle place faire au secret et quels sens variés peut-il prendre ? Le terme « secret » est emprunté au latin secretum qui désigne un lieu caché, seul, et qui est lui-même dérivé de secernerese marquant la séparation, et cernere désignant l’action de distinguer, de tamiser, dit le Gaffiot, c’est-à-dire, « mettre à part ». Est donc secret ce qui est mis à part, ce qui doit être tenu caché, que les yeux ou les cœurs doivent ignorer. L’enfance est le lieu où naissent les secrets, où amusés mais craintifs nous cachons à la maîtresse que c’est nous qui avons cassé le porte-manteau, qui avons volé la blouse de notre camarade ou qui avons jeté des frites sur le délégué – prenez cela comme des anecdotes. Nous faisons tous l’expérience du secret, nous connaissons tous des choses que nous voudrions tenir cachées, des choses pour lesquelles nous avons engagé notre honneur afin qu’elles demeurassent occultes. Le secret, d’une certaine manière, implique le mensonge. Tenir quelque chose de secret c’est, inévitablement, mentir. Ce peut être mentir par la pensée, par la parole ou par l’acte : quia peccavi nimis cogitatione, verbo et opere. Si le secret est secret, c’est bien, par définition, qu’il a un intérêt et qu’il doit rester ignoré. Si tout le monde s’en moque, alors le secret n’a plus lieu d’être. Donc en ne le révélant pas, je mens – je pèche – par pensée. C’est-à-dire que je garde en mon esprit, quelque chose qu’autrui aurait tout intérêt à découvrir et le priver de cette découverte dont il aurait bénéfice fait de moi, certes un menteur, mais une personne de confiance. C’est le grand paradoxe. Lorsque l’on confie un secret – et le verbe confier est loin d’être hasardeux – c’est parce que l’on fait confiance au pécheur que l’on a en partage avec soi en ce qu’il ne le révèlera pas. Confier un secret, c’est faire confiance à un menteur. Seulement, la question devient ici épineuse car il s’agit de celle de l’ontologie du secret, pour reprendre le titre de Pierre Boutang, la question de savoir ce que le secret est vraiment. Parce que les secrets, nous ne les confions pas toujours, parfois ne sont-ils pas en partage et souvent ces secrets personnels reposent-il uniquement dans celui de notre cœur. Pour Kierkegaard par exemple, la foi étant tellement individuelle et subjective – c’est un bon protestant – elle est un secret absolu que non seulement nous n’avons pas à mettre en partage mais qu’en plus nous ne parviendrions même pas à énoncer à l’autre. 

Mais alors, à partir de quel moment le secret devient-il secret ? Le secret doit-il nécessairement – et paradoxalement – être mis en partage pour qu’il soit secret ? ou bien ce que je suis seul à connaître et que je ne souhaite pas qu’autrui connaisse, est-il un secret que je me fais le serment à moi-même de ne pas divulguer ? le serment de ne le pas rompre est-il d’ailleurs une condition de possibilité de ce secret ? 

            Le sujet est immensément vaste. Ce qui est caché, est paradoxalement ce sur quoi nous avons le plus à dire. Hélas devrons-nous nous borner à nous questionner sur trois points, déjà denses et que nous ne pourrons traiter que partiellement. Nous nous interrogerons donc 1° sur le secret que je ne partage pas et qui n’appartient qu’à moi seul, 2° sur le secret que j’ai en partage avec un autre et, enfin, 3° nous envisagerons le secret lorsque nous y sommes extérieurs et en tant qu’il m’est révélé.

1° En tant que je le cache aux autres, le secret ne peut être que le mien. Comme une espèce de larcin sur lequel je veille et que je n’aimerais voir dérobé sous aucun prétexte. Le secret que je suis seul à détenir traduit la honte que j’ai à en être le propriétaire. Si je souhaite que personne ne le découvre, c’est souvent parce que je crains pour ma réputation, pour l’image qu’autrui aura de moi. A propos du secret, Boileau nous dit d’ailleurs qu’ « il vaut mieux le souffrir son secret que de le dévoiler »[1]. L’expression consacrée est souvent celle de « jardin secret ». Ce jardin secret, que nous laissons souvent en friche, désigne ce qui constitue notre réalité profonde, inexprimable – et ce y compris par nous-mêmes. Cet inexprimable, cet indicible, n’est connaissable que par nous-mêmes. Et cela est déjà compliqué ; le γνῶθι σεαυτόνdelphique est bien la preuve que nous ne nous sommes pas transparents nous dit Jean-Louis Chrétien. On lit dans la première épître aux Corinthiens, chapitre deux verset onze : « Quis enim scit hominum, quae sint hominis, nisi spiritus hominis, qui in ipso est »[2], que le chanoine Augustin Crampon traduit par : « Car qui d’entre les hommes connaît ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? » Et il poursuit d’ailleurs en disant – ce que nous ne pouvons traiter ici : « de même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n’est l’esprit de Dieu». 

Nous voyons donc que le secret que chacun possède en lui dispose du privilège de l’unicité de son connaisseur. Encore faut-il que le sujet sache bien qu’il y a quelque chose à connaître pour se mettre en marche vers sa découverte ; on pense par exemple à l’ouverture des Miettes philosophiques par Kierkegaard : « L’ignorant qui pose la question ne sait même pas ce qui l’amène à la poser. »[3] Toutefois, chacun possède ce secret, cet indicible qu’il ne veut pas dire, qu’il ne peut pas dire. Kierkegaard encore une fois, écrit dans Le concept d’angoisse, que « le malheureux finit par obliger chacun à connaître son secret caché »[4] et il y a là quelque chose dont tout le monde fait l’expérience. Voir quelqu’un contrarié par le chagrin pousse nécessairement à lui poser la question inévitable : « ça va ? ». Demander si ça va, c’est demander si l’existence continue à aller ; mais comment penser que sous prétexte que le chagrin est là, l’existence cesserait d’aller, serait comme figée. Littéralement, elle va toujours. Autrui donc, cherche à savoir ce que cache le désespéré. Et Jean-Louis Chrétien d’ajouter, dans Le regard de l’amour[5] : « combien de secrets ne sont là que pour qu’un autre les perce à jour et nous évite d’avoir à les confier ? ». La manifestation du secret n’est elle-donc pas son essence propre ? ne lui est-elle pas intrinsèque ? Le jardin secret est si propre à l’homme que le drame est bien de n’en avoir pas. Avoir un secret pourrait être qualifié de « seconde naissance », expression par laquelle Kierkegaard désigne le passage chez le disciple de la non-vérité à la vérité. Avoir un secret, c’est exister, car une existence sans secret est une vie terne et sans relief. Kierkegaard décrit d’ailleurs le secret de l’existence comme le mouvement et pense à Hegel expliquant qu’il se passe quelque chose dans le dos de la conscience[6]… On lit chez Bernanos, dans Monsieur Ouine : « J’ai besoin d’un secret […], j’ai le plus pressant besoin d’un seul secret, fût-il aussi frivole que vous pouvez l’imaginer, ou plus répugnant et hideux que tous les diables de l’enfer. Oui, n’eût-il que le volume d’un petit grain de plomb, je sens que je me reformerais autour, je reprendrais poids et consistance… Un secret, comprenez-moi bien mon enfant, je veux dire une chose cachée qui vaille la peine d’un aveu »[7]. En réalité, tout le monde s’intéressant à ce que je cache, l’essence du secret est bien de rester caché, et par là-même, non pas d’être tenu à l’écart des autres sujet, mais d’être mis à l’écart du temps, d’en être séparé, en tant que c’est justement le secret que je garde qui initie un temps : il y a un avant et un après chaque secret. Chaque secret initie un monde. On lit alors chez Boutang dans son Ontologie du secret : « Nous n’avions pas perdu de vue, même chez Circé, que le secret est une chose mise à part ; une chose – le paraître de quelque être – et « mise à part », ayant été criblée, choisie pour être retirée. L’acte qui l’a ainsi séparée est déjà accompli ; le secret se donne ou refuse comme tel, se réfère à un initium qui sera figuré ou représenté, non aboli ; par là chaque secret instaure, avec la séparation entre les choses, une séparation du temps : il est au principe d’une suite ou d’une série »[8]

Mais nous pouvons nous demander si, dans une perspective chrétienne, je peux réellement me faire un secret à moi-même, veiller sur lui. Car si je pouvais déclarer secret – c’est-à-dire mettre de côté – quelque chose à l’égard de Dieu, alors la notion de péché serait vide de sens, car déjà pour le socratisme nous dit encore Kierkegaard « tout péché est ignorance : incompréhension de soi dans la vérité[9]. » Le péché, c’est bien le secret que j’essaie de faire à Dieu en pensant naïvement qu’Il pourrait continuer à l’ignorer. Puis, dans la prière ou dans la confession, j’avoue à genoux ce que j’ai commis en pensant révéler à Dieu un secret, quelque chose qu’Il ignorait, qui était tenu à l’égard de Lui et de Sa connaissance, mais en réalité, ce que je confesse, c’est mon orgueil de penser que Dieu ait pu ignorer le mal que j’avais fait – ou pire, pour un péché mortel, je confesse qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un secret mais que ce mal, je l’ai quand même fait. Quoi qu’il en soit, l’homme, même avant sa rédemption, ne tient pas son secret seul. Dans une perspective chrétienne – mais cela concerne évidemment le païen – Dieu n’ignore rien de ce que je fais, car comme le rappelle saint Luc au septième verset du chapitre douze : « sed et capilli capitis vestri omnes numerati sunt »[10], que Crampon traduit très justement « mais les cheveux de votre tête sont tous comptés ». J’ai donc toujours mon secret en partage. Que ce soit avec Dieu ou avec autrui. Penchons-nous, alors, sur le secret que j’ai en partage avec un semblable.  

2° Encore une fois, partager un secret avec autrui est une expérience que chacun connaît. Le secret peut être lourd à porter ou, au contraire très léger et ne pas m’encombrer. Boutang dit très bien : « Garder un secret, veiller sur lui, c’est encore un autre souci que le taire, ou que le retenir en l’intimité de soi-même »[11]. Et cela traduit ce qu’est réellement le secret. Si le secret m’est lourd et difficile à porter, c’est bien que je crains les conséquences qui en résulteraient si je le dévoilais. Le secret est donc constamment pensé par rapport à sa possible révélation. C’est d’ailleurs le même vertige qui me prend lorsque j’imagine être révélé le secret que je partage avec autrui que celui qui saisit le badaud au bord d’une falaise qui se dit que, tout de même, il a la possibilité de sauter. Nous définissons donc le secret négativement : c’est ce qui ne se sait pas, ce que je ne révèle pas. Mais cette définition négative est corrélée à un sentiment – que nous ne chercherons pas à définir : l’amour.

 Si je ne choisis pas celui à qui je confie mon secret, ce n’est plus un secret. Choisir quelqu’un pour lui révéler un secret, voilà une définition que l’on pourrait poser pour le mot « aimer ». Aimer c’est partager le mystère de l’autre, sans dévoiler ce que cet autre cache qu’en me disant « je t’aime » il m’a confié : « Chacun de nous peut recevoir / La part de mystère de l’autre / Sans en répandre le secret »[12], écrivait Char. Et Paul Celan d’ajouter, en disant, que seul l’aimé est dépositaire de ce secret : « Niemand / zeugt für den / Zeugen. »[13] ; personne ne témoigne pour le témoin. 

Les amants ont seuls en partage le secret de leurs nuits, mais le secret leur échappe même un peu, il leur est, à eux-mêmes, fuyant, car le lendemain, ils ne se rappellent pas tout. Quand nous aimons, c’est souvent l’aimé que nous excluons du secret : nous voudrions dire à la Terre que c’est cette personne que nous aimons, mais craignons de le dire à l’aimé. Mais le dire vraiment c’est confier ce secret, au sens d’initium que lui donne Boutang. Dire « je t’aime » c’est initier un temps nouveau, c’est dire qu’il y aura un avant et un après le secret que l’on confie et il faut alors donner toute sa valeur aux mots que l’on prononce, car une fois passé ce cap, nous ne voyons plus dans cet amour un secret. Le premier « je t’aime » passé, il n’y a plus d’aveu lors des suivants : je ne révèle rien, je ressasse. Il ne faut cependant pas tout révéler, car, écrit Gustave Thibon : « Tout dire implique infiniment plus d’hypocrisie que tout cacher. Il suffit, pour avoir la preuve, de considérer l’exhibitionnisme généralisé de notre époque : tous les secrets jetés au vent deviennent autant de mensonges. »[14] En effet, comme dit le poète, la certaineté est ennuyante[15].

Le secret que j’ai en partage avec un ami tient une place toute aussi importante dans la relation que je peux entretenir avec lui. Mais encore une fois, confier à un autre ce que je frémis de voir révélé est le signe de confiance le plus abouti que l’on puisse faire. Nous l’évoquions en introduction, faire cette confiance c’est avoir confiance dans l’improbité d’autrui. Pour confier un secret, il ne faudra surtout pas se tourner vers Kant qui a parfaitement compris le paradoxe du secret et qui sait bien que le dépositaire du secret confié sera amené à mentir. Le complice d’un crime, en tant qu’il doit garder un secret est déjà coupable, même s’il n’a pas encore eu à mentir. 

Cette confiance que l’amant ou l’ami me fait, si elle est signe de l’amour ou de l’amitié que l’on me porte, comporte toutefois un penchant douloureux. Lorsque je suis mis à l’écart d’un secret, je témoigne alors que l’on ne me fait pas confiance. 

3° Nous avons jusqu’ici pensé le secret en tant que nous en étions le sujet. Mais qu’en est-il lorsque nous lui sommes extérieurs ? Lorsqu’autrui nous cache quelque chose. Il y a deux possibilités : la première est celle dans laquelle je ne suis pas au courant de l’existence du secret, je lui suis complètement étranger, mais cela, nous n’en pouvons rien dire et Wittgenstein de nous rappeler : « Sur ce dont on ne peut pas parler, il faut garder le silence.»[16] La deuxième possibilité, plus intéressante, est celle où je suis au courant de l’existence d’un secret que l’on me fait, sans pour autant en connaître le contenu. Il faut que quelqu’un nous révèle l’existence du secret pour que l’on puisse comprendre que l’on en est exclu, mais être exclu du secret – ou plutôt que le secret soit exclu de notre connaissance – est son essence même. Le secret implique qu’on le révèle et seulement là, celui qui ne le connaissait pas peut dire : c’était leur secret ! L’exemple littéraire le plus abouti de ce sentiment est Le Château de Kafka. K. sait bien qu’il y a un château, qu’il pourrait y aller, mais jamais il n’y parvient. Et comme Ezra Pound le rappelle justement, et nous l’appliquons ici au secret, « Le vent fait partie du procès / La pluie fait partie du procès »[17]Le Château s’ouvre donc ainsi : « Il était tard lorsque K. arriva. Une neige épaisse couvrait le village. La colline était cachée par la brume et par la nuit, nul rayon de lumière n’indiquait le grand château »[18]. K., même s’il sait qu’il existe un château, puisqu’il fait toute cette route dans le but de l’atteindre, ne le verra jamais et ne pourra jamais dire s’il existait bel et bien. L’arpenteur est donc tenu hors du secret mais il sait que celui-ci existe. Il y a donc quelque chose qui relève du mystère en pleine lumière, pour reprendre ce merveilleux titre de Barrès. Mais K. se dirige toujours vers le château comme s’il se dirigeait vers une théorie-limite, vers un néant, mais le lecteur ne veut pas y croire, ne veut pas croire que le château est cette décevante fiction, car K. se donnerait-il cette peine pour une fiction ?

Ce mystère en pleine lumière est celui dont le croyant fait constamment l’expérience. Etre tenu au courant de l’existence de Dieu mais n’en pouvoir rien dire, c’est bien être exclu de ce secret. Et à ce sujet, Pierre Boutang écrit que « la révélation [divine] est l’institution d’un secret »[19]. Toute la question du nom de Dieu revient à essayer de percer à jour un secret que je ne pourrai pas connaître en cette vie : je cherche à découvrir moi-même le contenu d’un secret dont seule l’existence m’a été révélée. A ce sujet, « plus les choses divines sont en soi claires et manifestes, plus elles sont naturellement obscures et cachées à l’âme » (Saint Jean de la Croix)[20]. La notion capitale qui caractérise le christianisme et qui s’articule avec celle du secret est celle de la vérité. Percer à jour un secret c’est comprendre la vérité qui est et pas celle que l’on invente. George Braque écrit très justement, dans Le jour et la nuit, recueil de notes écrites entre 1917 et 1952 : « La vérité existe, on n’invente que le mensonge »[21].

La vraie découverte d’un secret est donc celle qui nous est révélée comme vérité, au sens heideggérien d’αλήθειά, de dévoilement. Découvrir un secret c’est lever peu à peu le voile qui était déposé sur la vérité et qui m’empêchait de la bien voir, c’est passer doucement de la nuit obscure à la clarté – parfois aveuglante – du jour. La découverte du secret n’est donc pas, dans son procès, brutale. Œdipe qui découvre qui il est ou Thisbé s’apitoyant sur le corps de Pyrame ne découvrent pas un secret, car cette vérité ne leur était pas cachée, ils n’ont pas eu à la dévoiler. Découvrir un secret, c’est donc davantage retirer tout doucement le voile qui obstrue – ou qui magnifie – la vérité ; c’est, petit à petit, comprendre au fil de sa lecture la richesse inégalée se cachant timidement derrière le système de Hegel, derrière les notes stridentes de Webern, derrière l’hermétisme de Joyce. 

Disons alors que cette perspective du secret est celle qui permet à l’existence même de suivre son cours, de pouvoir dire « je t’aime », en incluant autrui dans son secret, ou « je te hais », en l’excluant. Si Boutang le disait de la révélation, nous affirmons que notre venue au monde, la venue de chaque nouvel être, est l’institution d’un secret qui initie un temps nouveau, qui abolit le précédent. Le secret est partout, dans chaque expérience que nous faisons. Chaque nouvelle note, dans la mélodie, nous est livrée comme l’aveu de ce secret qui était, pour le musicien, trop difficile à tenir caché. Dans la phrase, chaque mot vient livrer le secret de celui qui le précède. Mais si le secret est partout, il ne faut cependant pas penser qu’il nous engonce et qu’il contribuerait à nous figer dans une posture extatique – c’est-à-dire me tenant hors de moi-même – au prétexte que je n’aurais pas le droit de tenter de mettre des mots sur ce qui m’est caché. En ce sens, la phénoménologie comme Husserl en parlait et que nous résumons par la devise « Droit aux choses mêmes », n’est rien d’autre qu’une immense science du secret, pour tenter de lever le voile de l’apparence et pour laisser toute la place à l’apparition. Laissons donc le mot de la fin à René Char : « Quelques jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire ».[22]

                                                                                                          Jean-Roch Frionnet


[1] Satire X, Les satires, éd. électronique

[2] I Co., 2, 11

[3] Miettes philosophiques, trad. Knud Ferlov et Jean-Jacques Gateau, éd. Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1990, p. 43

[4] Le concept d’angoisse, trad. Tisseau, éd. Orante,  Œuvres complètes de Søren Kierkegaard, VII, p. 226

[5] Le regard de l’amour, éd. DDB, Paris, 2000, p. 98

[6] Miettes philosophiquesop. cit., p.80

[7] Monsieur Ouine, éd. électronique

[8] Ontologie du secret, éd. PUF, coll. « Quadrige », Paris, 1973, p. 125

[9] Miettes philosophiquesop. cit., p. 89

[10] Lc. 12, 7

[11] Ontologie du secretop. cit., p. 136

[12] « A*** », in Commune présence, éd. Gallimard, coll. « Nrf poésies », Paris, 1998, p. 137

[13] « Renverse du souffle », in Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, éd. Gallimard, coll. « Nrf poésies », Paris, 1998, p.265

[14] L’ignorance étoilée, éd. Fayard, Paris, 1974, p. 39

[15] Délie, Maurice Scève, chant CCCXII : « Que je m’ennuie en la certaineté »

[16] Tractatus logico-philosophicus, 7., trad. Granger, éd. Gallimard, coll. « Tel », Paris, 2001, p. 112

[17] Canto LXXIV, Les cantos pisans, in Les cantos, trad. Denis Roche, éd. Flammarion, coll. « Mille & une pages », Paris, 2013, P. 478

[18] Le château, trad. Vialatte, éd. Gallimard, coll. « Soleil », Paris, 1938, p. 7

[19] Ontologie du secretop. cit., p. 458

[20] La nuit obscure, trad. Père de Saint-Joseph, éd. Points, coll. « Sagesses », Paris, 1984

[21] Le jour et la nuit, éd. Gallimard, coll. « Nrf », Paris, 1988, p. 20

[22] « Pauvreté et privilège », in Recherche de la base et du sommet, éd. Gallimard, coll. « Nrf poésies », Paris, 1971, p. 8

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