Au sens strict, il est malaisé de prétendre donner une définition de l’information puisque celle-ci est omniprésente, sur les réseaux sociaux, dans la publicité (donc à la télévision, dans la rue, etc.), dans les journaux papiers et télévisés, en somme, l’information est disponible à chaque instant et par tout le monde ; et que l’omniprésence de l’information la rend multiple et parfois contradictoire. Si nous nous risquons à une définition du mot, nous pourrions dire qu’une information est un fait porté à la connaissance d’autrui, ou de soi-même : s’informer, c’est agrémenter sa connaissance de nouveaux faits auparavant inconnus. Mais il ne s’agit que d’une définition stricte, peut-être faut-il revenir à une définition étymologique qui, peu importe le sujet, est toujours hautement éclairante : information vient du latin informatio qui désigne l’action de “façonner l’esprit”. L’information a donc une portée philosophique non négligeable : une information, par le “fait” qu’elle porte à la connaissance d’autrui, façonne et modèle son esprit, lui donne une direction particulière et généralement voulue. On peut opposer la notion d’information au concept d’idée : l’étymologie de l’idée, c’est l’ἰδέα (“idea”), c’est-à-dire une forme visible, un aspect. On retrouve, que ce soit dans l’information ou dans l’idée, la notion de “forme”, mais quelle différence ? L’information est une forme donnée au sens interne de l’extérieur, tandis que l’idée est une forme donnée au sens interne de l’intérieur : l’information intègre l’esprit sans en avoir l’origine, l’idée est à l’origine dans l’esprit.
Il faut dès lors s’intéresser à la dichotomie entre l’information vraie et l’information fausse : la direction que donne l’information à l’esprit, la forme qu’elle façonne peut ne pas être la forme de la vérité. Pour cesser ces paroles peu claires, disons simplement que l’information qu’on nous donne, si elle nous influence, n’est pas nécessairement vraie : l’actualité nous le montre chaque jour avec la multiplication des fake news. L’information a, contrairement à l’idée, un rapport à la vérité qui est visiblement complexe : en réalité, l’information n’est pas vraie, au sens étymologique encore une fois. La vérité est ἀλήθεια (“aletheia”), c’est à dire littéralement “absence d’oubli”, “dévoilement”. La vérité ne doit pas changer la forme de l’esprit, elle doit donner à l’intellect la forme naturelle du sens interne de l’esprit. La vérité est en nous, elle est accessible dès lors que nous la recherchons et nous y appliquons avec attention : la vérité doit germer dans notre esprit, mais le peut-elle par une impulsion extérieure à nous-même ? Paradoxalement, elle le peut, mais l’information n’y est pour rien dans ce cas. Faire germer la vérité, l’Idée de vérité, dans l’esprit d’autrui, voilà le projet déployé par Socrate au IVe siècle avant notre ère. Socrate définissait son projet philosophique comme une maïeutique, c’est à dire littéralement l’art de “faire accoucher les esprits” : Socrate, lorsqu’il s’adressait à ses adversaires en rhétorique, les sophistes, ne prétendait jamais convaincre ni persuader son opposant, mais toujours influencer son jugement et l’orienter vers la recherche de la vérité en lui-même. Par exemple, si vous avez les propositions : “Socrate est un homme” et “l’homme est mortel”, et qu’il vous est demandé d’en déduire quelque chose, il semble que la tâche ne soit point trop ardue : “Socrate est mortel” (c’est ce qu’on appelle un syllogisme). La conclusion du syllogisme est vraie, et celle-ci a germé dans l’esprit, mais en réalité elle y résidait depuis toujours : l’oubli qu’elle subissait a simplement disparu (je vous renvoie à la définition étymologique de la vérité), la vérité s’est dévoilée en l’esprit par l’impulsion de l’extérieur, sans pour autant que cette impulsion soit “information”.
L’information, contrairement à l’idée qui est le germe de la vérité dans l’esprit, est une orientation de la pensée qui rentre en contradiction avec la forme interne de l’esprit, et est en quelque sorte une violence pour l’esprit en cela qu’elle modifie son contenu par sa présence et peut le tromper. Mais si nous transcendons ces concepts de bien et de mal, nous nous retrouvons dans une interprétation nietzschéenne de l’information : l’information est alors interprétation, elle refuse la vérité puisqu’elle est affublée de l’orientation d’un autre esprit que le nôtre, et parfois subi de nombreuses autres interprétations antérieures. On pourrait comparer cette idée de Nietzsche au jeu bien connu du “téléphone arabe” : une information de départ est déformée et c’est en cela que la notion de vérité lui est étrangère : “ […] Toute philosophie cache aussi une philosophie, toute opinion est aussi une retraite, toute parole est un masque” ( Nietzsche, Par delà le bien et le mal, §289).
Mais s’il nous faut avancer dans un monde chargé d’une information potentiellement mensongère, comment peut-on trouver la vérité ? Doit-on refuser l’information ?
Arthur